dimanche 28 décembre 2014

Pas assez de mots.

Il n'y a pas assez de mot dans le langage pour exprimer ma pensée juste. Faire de la poésie me fait souffrir à la fin, mais c'est sans doute ce qui me fait le moins souffrir. Espérer qu'en mélangeant les mots - une goutte de lactescence, une once d'inanité et trois pincées d'éther éternel - une improbable alchimie prenne dans l'esprit de quelques-uns et que ma propre pensée soit effleurée par la leur. On peut comprendre des concepts, des idées floues, larges, générales, on en oublie le particulier, le détail. La seule véritable réalité est le détail. Il n'y a que lui dont je puisse ressentir une vérité - mais elle est indicible, ineffable peut-être. Toute autre vérité n'est qu'une vague tentative vouée à l'échec. Je me sens prisonnier de mon esprit, et de celui de l'humanité qui a vécu jusqu'alors et forgé le langage. Il faut de nouveaux mots, parce que ceux-ci sont vides et si, si usés. On aura beau les utiliser dans des contextes qui raclent la crasse insupportable de l'habitude, il n'y a pas la beauté particulière et éphémère qui est gardée, enfermée, protégée au cœur-même de l'instant. Cœur. On utilise bien trop ce mot pour qu'il fasse acte de fragile innovation. Mais il est si général qu'il offre une multitude de tableaux simultanés. Le langage est frustrant. Il permet à la fois bien trop et trop peu. Il nous empêche d'accéder à la vérité, mais sans lui, nous ne pourrions même pas l'effleurer.

6 commentaires:

  1. J'hésite toujours à dire que je te comprends, mais il me semble trouver écho dans tes articles ^^

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  2. Tu résumes très bien les propos de ma prof de philo adorée qui nous résumait la pensée de Bergson... Et Bergson, c'est cool. Enfin, je pense pareil. (D'où le dessin qui offre selon moi plus de liberté, ainsi que toutes les formes d'art ne nécessitant pas de mots, ou qui peuvent compléter ceux-ci dont nous avons pourtant besoin.)

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    1. "Bergson, c'est cool." Je n'irais pas jusque là non plus ^^ Il a dit plein de choses qui m'insupportent. Et d'autres que j'adore. (Mais si tu veux, on peut en parler hein). Mais pour le coup, sur le sujet de l'indicible, à peu près tout le monde s'en rend compte (on en a parlé vite fait en philo), c'est pas non plus une invention de Bergson, c'est juste une expérience existentielle forte...
      (Je ne suis pas d'accord pour dire que le dessin, ou quelque autre moyen d'expression technique que ce soit, offre plus de liberté que "le langage" avec des mots. Selon moi, c'est simplement différent, et tout aussi limité. J'ai une image dans ma tête que personne ne pourra jamais réaliser techniquement, notamment parce qu'il s'agit d'un idéal. En revanche, je suis d'accord pour dire que les différentes techniques se complètent au sein d'un "langage étendu". Limité tout de même. Mais c'est aussi pour ça qu'en sciences, on utilise des schémas, photos, tableaux, enregistrements audio ou vidéo, etc., je pense.)

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    2. Je connais pas tant que ça Bergson, donc je n'irai pas m'aventurer jusqu'à en débattre, mais ce que nous a dit notre prof de philo sur lui me plaisait. Et certes c'est pas son invention mais il le dit "bien" (enfin j'aime comment il dit les choses)...
      (Dans la littérature, tu ne pourras jamais aller au delà des mots préétablis (ou très difficilement du moins), il y a toujours la syntaxe qui bloque, la difficulté d'exprimer une pensée qui n'a justement pas de mots. De plus, je parlais surtout pour moi : je me sens plus libre dans le dessin. C'était un exemple personnel.^^ Rapport à l'image irréalisable : une autre image peut s'en rapprocher. Des mots mal choisis au contraire ne font qu'éloigner de la pensée originelle. Mais évidemment, plus de libertés =/= pas de limites, je n'ai jamais prétendu le contraire... Pour les sciences : ben ça me semblait évident.^^)

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    3. Je comprends ^^
      (Apollinaire le fait vraiment bien. "La voix chante toujours à en râle-mourir",
      "Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été", "Le soleil et les morts aux terres qu'on emblave / Donnent la beauté blonde et la fécondité." Ici, le terme recherché n'existe pas, il l'a créé, tout simplement, à partir des idées qu'il trouvait les plus proches de son idée à lui ; ou simplement pour avoir le son qu'il souhaitait. Et je trouve au contraire que la syntaxe et le contexte permettent plutôt d'éclairer ce qu'on veut dire qu'ils ne posent de limites... Enfin, je veux dire, c'est parce qu'ils posent des limites qu'on comprend mieux : l'imagination est guidée vers la signification voulue du mot, et par celle déjà existante, et les deux convergent vers un sens nouveau, particulier, unique. C'est comme ça, je pense, qu'un mot arrive à être à la fois conceptuel, indéfini, et absolument unique en fonction du contexte dans lequel il est. Mais de toute façon, la pensée peut ne pas avoir de mots parce qu'on refuse, consciemment ou non, qu'elle en ait, qu'elle soit exprimable. Si on pouvait vraiment dire tout ce qu'on a dans la tête, on aurait peur de trahir nos secrets, non ? Alors se persuader que c'est indicible, c'est se rassurer quant à son "jardin secret"...
      Si tu te sens plus libre dans le dessin, alors sans doute l'es-tu ^^
      Je sais bien qu'une autre image peut s'en rapprocher, par contre, je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi concernant les mots. En fait, soit les mots, certes mal accordés à la réalité, sont les plus proches possibles de cette réalité, et alors, ils créent leur propre sens, à la fois éloigné, mais le plus proche possible, de la réalité, soit ils ne sont pas les plus proches et on peut donc trouver plus proche. Idem pour l'image : en étant, elle crée sa propre représentation, différente de l'idée, et donc elle éloigne autant qu'elle rapproche : elle éloigne puisqu'elle laisse croire qu'elle EST l'idée, elle rapproche parce qu'elle y ressemble.
      Pour le reste, nous sommes d'accord ^^)

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