samedi 27 août 2016

Le Manifeste des Mots



Le langage, les mots, ont quelque chose d’étrange. Celui qui les côtoie, les manipule et les aime ne les trouve pas plus familiers : à l’écrivain également, les mots apparaissent étranges.

Words, English words, are full of echoes, of memories, of associations.” Virginia Woolf.

En écrivant, j’ai toujours ressenti que les mots ne m’appartiennent pas. Que ce que je fais en les écrivant c’est découvrir un ordre qui leur est propre. Pourtant, il y a une part de moi dans ces mots. Mais elle n’est pas exprimable de n’importe quelle manière.

De même que j’assiste à l’éclosion de ma pensée (Nietzsche), je ne suis qu’une gouttière qui guide le flux des mots. Je les guide de manière à ce qu’ils me fassent du bien, mais leur arrangement le plus particulier dépend moins de moi que d’eux. Pourtant je suis heureux d’être cette inimitable gouttière.

A rose is a rose is a rose is a rose.

Pourquoi alors ai-je choisi d’être écrivain ? À vrai dire, je n’ai pas vraiment choisi. Ça s’est imposé. J’en ai besoin. J’ai besoin des mots.

J’ai besoin que leur extériorité reflète mon intériorité. Que leur liberté fasse écho à mon autonomie. Que les essaims de souvenirs qu’ils portent en leur sein s’associent aux miens pour qu’ensemble nous accostions sur ce rivage éternel où leur bourdonnement sécrète mon apaisement.

Regardez ! Ils l’ont encore fait. Cette phrase n’est pas la mienne, je me la suis arrachée à coup d’effort, ils me l’ont arrachée à force de réflexion. Et pourtant, grâce à cette aura qui suinte autour des mots, l’association secrète qu’ils ont formée les contente, et comme s’ils avaient formé un nouveau breuvage par leur ordre, ils me guérissent. De manière contradictoire, ils deviennent aussi mes amis et cette phrase est une parcelle de moi, que je porte comme un trésor.


Il y a ce contraste dans mon usage des mots. C’est parce qu’ils appartiennent aux autres qu’ils me font évoluer. C’est parce que leur ordre singulier me fait cet écho particulier qu’ils me font du bien. Et pourtant, cet ordre est dicté par une conception de la beauté qui ne vient pas entièrement de moi. Et pourtant, cet ordre est la mise au jour de l’eau qui repose au plus profond de moi.

En fait pour moi, écrire, c’est mêler mon individualité à une forme collective. Dans une certaine mesure, c’est aussi, par parallèle, mêler l’éphémère à l’éternel (Baudelaire). Je suis fugace. L’humanité est pérenne.

Je suis éternel en moi, l’influence des autres est volatile.


J’ai compris cela très récemment, en lisant ce texte de Virginia Woolf qui parle des mots. Les mots s’appartiennent mutuellement. Ils font partie de contextes, de sensations, de souvenirs, de relations, d’usages, d’expressions, de phrases, de paragraphes, de livres. Ils forment un réseau. Initialement, bien sûr, un mot appartient à celui qui le dit, la phrase également, comme le paragraphe et le livre. Mais ils sont lus ou entendus, compris, et retransmis. Ils changent. Ils deviennent indépendants de celui qui les a produits. Et à la fois si intimement liés à lui.

Ainsi les mots sont des affects sociaux. Et assez naturellement, tout ce qui est composé de mots l’est aussi. Sartre constatait que ses pièces, une fois publiées, ne lui appartenaient immédiatement plus. « L’Enfer, c’est les autres » a toujours été mal compris, dit-il. Et pourtant, il reconnaît que ce n’est pas à lui de décider du sens, le sens se décide tout seul. Car c’est un affect social.

Mais ils sont aussi des affects personnels. Je crée dans mon esprit un ensemble de représentations qui font résonner les mots d’une manière unique. Mes mots ont un seul sens : le mien – mais large, plongé dans un réseau qui certes vient de la société mais n’existe qu’en moi et par moi. Les mots m’appartiennent un peu aussi. Je réaffirme cette appartenance par l’écriture.


De même, il y a dans l’acte d’écrire tel que je le pratique, une confrontation à moi-même et à comment la société vit en moi. En écrivant je me découvre, je me comprends, je m’explore et je m’aime. J’affirme que je m’aime.

Écrire pour moi c'est lancer dans la société, comme d'un avion, mon manifeste des mots. Écrire pour moi c'est façonner mon manifeste de l'amour de moi.

7 commentaires:

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    1. (Tu me donnerais les sources des 2 dernières images ? :3)

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    2. Tiens c'est drôle que tu apprécie, Betta vivait l'écriture très différemment (même si j'ai réécrit l'article depuis).
      Et les deux dernières images, bah comme les autres, je les ai trouvées sur Pinterest en cherchant "Yin Yang" et "Finistère" je crois x)

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    3. Bah. J'écris pas beaucoup, mais pour le peu que j'écris je vis l'écriture différemment aussi. Mais genre, théoriquement, j'adore ce que tu as exposé.

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    4. Ah oui, c'est théoriquement cool. Mais c'est une partie assez partielle, sous-jacente et inconsciente de la pratique d'écriture je crois. Difficile à vraiment sentir ^^

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  2. Un profond respect pour ta capacité à/ta manière de verbaliser ces processus (semi-)inconscients : "Cette phrase n’est pas la mienne, je me la suis arrachée à coup d’effort, ils me l’ont arrachée à force de réflexion. Et pourtant, grâce à cette aura qui suinte autour des mots, l’association secrète qu’ils ont formée les contente"

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    1. L'expression de ton profond respect pour ce qui constitue mon but, pour ce qui dirige toutes mes tentatives d'expression, m'honore et me touche. Ton message rend explicite l'échange de puissance d'agir que nous effectuons, et cette conscientisation est une joie.
      Merci à toi =)

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