mercredi 14 septembre 2016

Le bon, le juste (et autres confrontations de la philosophie)

En philosophie, parfois, les gens n'arrivent pas à se mettre d'accord. Ça arrive sur la Raison et les Émotions (lequel prime ? lequel suivre ?), ça arrive pour le monisme et le dualisme (existe-t-il une âme éternelle, substantielle, détachée du corps ? Ou bien tout n'est-il explicable que par un seul "plan d'existence" ?), pour l'idéalisme et le matérialisme (tout s'explique-t-il par la physique des corps, ou bien par les lois des idées ?), bref, pour un certain nombre de sujets, vastes, complexes, subtils.

Et pourtant à mes yeux terriblement naïfs depuis cet après-midi. J'étais en cours de méta-éthique (on étudie les présupposés, les définitions, et les courants de l'éthique et de la morale), et il semble que l'histoire de la philosophie ait été traversée d'oppositions entre deux concepts : good et right, bon et juste (substantifs : bien et justesse et non justice).
Good, c'est du côté de l'individu, de ce qui est bon pour lui, ce sont plutôt des règles intérieures, et cela correspond davantage à ce que l'on nomme l'éthique.
Right, c'est extérieur à l'individu, ça renvoie à des règles "objectives" (dans un sens assez large, je vais y revenir), qui doivent être suivies pour réaliser l'objectif moral (on utilise plus volontiers ce second terme pour les règles externes, quoique cela se discute).

Well. (Comme dirait l'autre.)
J'ai écouté la professeure, qui était du côté de right. Elle m'a dit qu'il fallait selon elle se conformer à des critères extérieurs, dictés par la vie en communauté, par l'interaction avec l'altérité humaine. Et en cela (comme ces règles ne dépendent pas de l'humain particulier mais du groupe), ces règles approchent une forme d'objectivité (qui en fait relève plutôt d'une subjectivité collective, d'une subjectivité par interactions, je vous renvoie à mon précédent article sur l'objectivité, notamment la partie sur la subjectivité du point de vue de l'humanité).
J'ai été surpris d'être d'accord avec elle, moi qui me plaçais du côté du good, parce que je suis fondamentalement d'accord avec Spinoza, pour qui le bon prime sur le bien, c'est-à-dire qu'on doit rechercher ce qui est bon pour nous, mais réellement bon, c'est-à-dire que l'on a connaissance de l'augmentation effective de la puissance d'agir que cela va nous causer.
Bon, évidemment que j'étais d'accord avec elle. Se conformer à certaines règles sociales, c'est mettre en commun les puissances d'agir donc augmenter la sienne : l'idée très forte de Spinoza que l'intérêt de chacun, c'est le même que celui du groupe.

Et cela m'a rappelé cette dissertation de terminale, où on devait clairement opposer intérêt général et particulier. J'avais spontanément créé un nouvel intérêt, l'intérêt commun, conçu comme le compromis entre les intérêts particulier et général, comme leur intersection.
Spinoza m'a ensuite montré que, une fois bien conçus, ces trois intérêts sont en fait les mêmes (ce qui supprime le besoin du troisième intérêt que j'avais créé pour l'occasion).

Et pourtant. C'est cela qu'oublie la querelle de good et right. L'intérêt commun. Qu'en prônant une normativité individuelle ou collective, l'une ou l'autre conception froisse l'autre. Qu'une conception équilibrée, saine, viable, ne peut être que dirigée vers l'intérêt commun, qui, hors d'une connaissance parfaite, se distingue parfois des deux autres. En cherchant le compromis, et non pas le mélange ou la cohabitation, j'entends plutôt une véritable entente, chacun se sentira satisfait, et se soumettra à la règle éthique, à la loi morale, sans y résister.
Parce qu'en fait personne n'obéit bien longtemps à une loi qui lui nuit trop. Parce que chaque réticence dans l'obéissance correspond à une véritable et légitime douleur.

De même donc des conflits sus-cités, qui s'opposent naïvement jusqu'à ce qu'une solution élégante contente les deux. À ce titre je citerai la solution spinoziste à la question du monisme/dualisme et du matérialisme/idéalisme :
Il n'existe qu'une seule substance, c'est-à-dire qu'un seul univers, mais en tant qu'humain, peut prendre sur lui exactement deux points de vue ("attributs") : l'Étendue (les corps, les lois physique, la matière, la lumière, etc.) et la Pensée (clair en soi). Tout ce qui se produit du point de vue de l'Étendue se produit identiquement (mais sous un autre point de vue) dans la Pensée, et vice-versa. Les deux choses qu'on prenait alors pour différentes et irréconciliables apparaissent ainsi comme une et égales, sans primauté de l'une sur l'autre. De même, cette égalité rend caduque la question du dualisme : il y a bien deux attributs, mais une seule substance.

Je souhaite donc à l'avenir être plus vigilant sur les querelles philosophiques dipolaires, car elles sont selon moi le signe que chaque conception heurte celui qui croit à l'autre, et que seul un compromis équilibré peut résoudre le heurt, que ce soit par ajout d'un nouveau concept (good et right) ou par reclarification des concepts existants (Étendue et Pensée)

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